Interview de Julien De Muynke Doctorant en acoustique Institut Jean Le Rond d’Alembert
Dans le cadre du projet Notre-Dame Whispers, une initiative collaborative visant à redécouvrir Notre- Dame de Paris à travers une expérience sonore immersive, l’équipe a été renforcée par la collaboration avec l'unité SUMMIT. Plus précisément, notre ingénieure en Sciences Humaines et Sociales, Margot Mahoudeau, a contribué à l’étude des publics et à l’analyse des parcours de visite. Julien De Muynke, doctorant en acoustique, fait partie de l’équipe du projet dirigée par Brian Katz, directeur de recherche au CNRS. Dans cet entretien, Julien nous parle de son rôle clé dans le projet, des défis techniques de la recréation acoustique, et des applications futures de la simulation sonore pour la médiation culturelle.
Pouvez-vous nous expliquer brièvement le rôle que vous avez joué dans le projet Notre-Dame Whispers et comment vous avez contribué à la recréation de l’identité sonore de Notre-Dame ?
JDM: Dans le cadre de mon doctorat en acoustique du patrimoine, j’ai participé à toutes les étapes du projet Notre-Dame Whispers, qui s’est concrétisé par le développement de l’application de visite Ekko of Notre- Dame de Paris en collaboration avec l’agence de médiation culturelle Talkartive.
Cela inclut une étude préliminaire de l’affluence des visiteurs aux abords de la cathédrale pendant les travaux de restauration, le design du parcours de visite, l’écriture du script immersif (qui consiste à écrire simultanément la narration et les paysages sonores) en relation avec le matériel audio et acoustique développé par le projet de recherche PHEND (The Past Has Ears at Notre-Dame). J’ai également été impliqué dans l’enregistrement en studio de la narration en trois langues (français, anglais et espagnol), ainsi que dans la création de 12 pièces audio qui racontent 12 épisodes de l’histoire sonore de Notre-Dame.
C’est un projet qui a une grande valeur pour ma thèse, car il constitue une application concrète des hypothèses que j’ai formulées, visant à rendre accessible au grand public des connaissances scientifiques à travers une expérience de visite immersive, basée sur une narration incarnée et des paysages sonores historiquement informés.
Quelles ont été les principales difficultés techniques dans la recréation des acoustiques historiques de Notre-Dame ?
JDM : L’acoustique d’un lieu est une signature unique, façonnée par son architecture, sa décoration et son ameublement au fil de son histoire. Notre-Dame a plus de 850 ans et au cours de cette longue période, elle a vécu de nombreuses évolutions architecturales, décoratives et dans ses usages.
Le défi majeur de la modélisation sonore réside dans le fait de recréer des acoustiques d’états historiques qui n’existent plus aujourd’hui. Pour cela, nous avons collaboré avec des chercheurs spécialisés dans des domaines variés ; architecture, histoire de l’art, musicologie, archéologie du paysage sonore et sociologie. Nous avons cherché à reconstituer les modèles acoustiques de différentes périodes historiques de la cathédrale. Par exemple, la période entre 1182 et 1250, lorsque seul le choeur de Notre-Dame était construit et séparé du reste de la cathédrale par un mur temporaire pendant que les travaux de construction de la nef continuaient de l’autre côté du mur.
L’application Ekko of Notre-Dame de Paris intègre une narration immersive. Comment avez-vous collaboré avec les équipes artistiques pour garantir que l’aspect sonore et acoustique soit fidèle à l’histoire de la cathédrale ?
JDM : Lorsque l’application Ekko of Notre-Dame de Paris emmène le visiteur assister à des scènes dans le choeur médiéval de Notre-Dame, l’acoustique utilisée correspond à celle du 13ème siècle.
À l’époque, les stalles enfermaient presque complètement l’espace du choeur liturgique, ce qui créait une acoustique plus intime que celle de la cathédrale moderne. Lors de l’écriture du script immersif, nous avons veillé à ce que les histoires choisies soient en lien avec des éléments de recherche effectuée par le projet PHEND, comme les chants polyphoniques, les orgues, ou encore les sons du chantier de construction médiéval.
Certains de ces éléments sonores étaient déjà disponibles grâce aux recherches précédentes, mais dans d’autres cas, nous avons dû organiser de nouvelles sessions d’enregistrement, comme pour les cloches de la cathédrale de Sens, qui avaient été fabriquées à la même époque que celles de Notre-Dame, restées silencieuses depuis l’incendie.
Les résultats des enquêtes sur l’application Ekko of Notre-Dame de Paris montrent une forte connexion émotionnelle des visiteurs avec l’histoire acoustique de Notre-Dame. Selon vous, pourquoi l’aspect sonore joue-t-il un rôle aussi crucial dans la percept
JDM : Notre-Dame a toujours eu une identité musicale très forte grâce aux orgues, aux cloches et à d’autres éléments sonores qui font partie intégrante des rituels de la messe, mais aussi des concerts profanes qui se tenaient chaque année jusqu’à l’incendie de 2019. Cet événement a rendu impossible l’accès à cette identité sonore pendant le temps des travaux, donc la possibilité de la recréer via l’application de visite a offert aux visiteurs une occasion unique. De plus, nous avons cherché à établir une connexion émotionnelle particulière avec la cathédrale à travers la voix d’une vieille dame incarnant Notre-Dame elle-même. Elle nous conte son histoire sonore avec une certaine intimité, à la manière d’une grand-mère racontant ses souvenirs. En outre, dans un monde saturé d’images, le son devient un outil puissant pour des expériences immersives qui viennent compléter ce que l’on perçoit visuellement.
Avec la recréation des acoustiques historiques de Notre-Dame, quelles applications futures envisagez-vous pour cette approche de simulation sonore, notamment dans le domaine du patrimoine culturel et de la muséologie ?
JDM : Je souhaite poursuivre dans cette voie : adapter le même type de dispositifs de visite à d’autres sites patrimoniaux – bâtiments historiques, sites archéologiques, musées ou villes labellisées comme les villes d’Art et d’Histoire – et étudier leur impact sur les publics. La fonctionnalité de géolocalisation permet de créer des parcours de visite sur mesure en fonction du lieu, que ce soit en extérieur ou en intérieur. De plus, les méthodes de reproduction audio spatiale désormais disponibles sur les smartphones permettent des expériences de plus en plus réalistes, comme l’audio binaural dynamique, qui garantit que la scène sonore reste ancrée dans l’espace, même lorsque le visiteur tourne la tête, à la manière d’environnements de réalité virtuelle ou augmentée. L’utilisation de l’application de visite sur un smartphone représente également un avantage majeur pour les institutions patrimoniales. Elle simplifie la gestion et l’accueil des visiteurs en supprimant la nécessité de gérer un stock d’audioguides, évitant ainsi les contraintes liées à leur recharge et à leur entretien, et facilite la mise à jour et l’enrichissement des contenus. Enfin, elle permet aux visiteurs de prolonger leur expérience après la visite, notamment en accédant à du contenu supplémentaire via l’application, qui reste installée sur leur smartphone.
L’application peut être téléchargée gratuitement, pour une visite depuis le parvis de Notre-Dame ou depuis son salon (disponible en français, anglais et espagnol).