Le projet PHEND et l’histoire de Notre Dame de Paris SUMMIT

Interview de Brian Katz Directeur de recherche CNRS Institut Jean Le Rond d’Alembert en accoustique et spatialisation sonore

Bonjour Brian, qu’est-ce qui vous a initialement inspiré à vous spécialiser dans l’acoustique et la spatialisation sonore ?

BK : J’ai commencé mes études en physique générale aux Etats Unis, à Brandeis proche de Boston, puis je me suis intéressé à la science de physique appliquée. Cela m’a amené à réaliser un master dans ce domaine en Angleterre. Par la suite, je me suis tourné vers l’acoustique, une discipline qui a immédiatement fait écho à mes intérêts pour la physique, l’aspect technique et la programmation. Ma thèse m’a permis de me spécialiser dans le son binaural*, en particulier les différences inter-individuelles de l’écoute spatiale. Après, j’ai travaillé dans des bureaux d’études en acoustique des salles à New York et en Europe. C’est un domaine fascinant qui allie technologie et perception sensorielle, en particulier parce que le son est omniprésent dans notre quotidien. L’acoustique touche directement l’Homme, et c’est un domaine qui, contrairement à la vue, est difficile à “éteindre” : nos oreilles sont constamment à l’écoute. Cette notion de tangibilité d’un phénomène immatériel, le son, m’a profondément intéressé et m’a conduit à poursuivre une carrière académique. Aujourd’hui, je suis Directeur de Recherche CNRS.

Brian Katz Directeur de recherche CNRS Institut Jean Le Rond d’Alembert SUMMIT

Quel est l’objectif acoustique du projet PHEND ?

BK : Le projet PHEND a été initié après l’incendie de Notre-Dame de Paris. Il est important pour nous de comprendre l’histoire acoustique et sonore de ce monument emblématique et de réfléchir à son avenir. Notre équipe de recherche est composée de musicologues, d'historiens de l’art, d'architectes du patrimoine, d'ingénieurs du son, et de spécialistes du paysage sonore et de l’acoustique. Au cœur de ces recherches se trouve l’élaboration d’un “jumeau numérique acoustique” de la cathédrale, qui offre une plateforme d’expérience pour les différentes recherches connexes. Nous avons mené des études approfondies sur l’évolution de l’acoustique de la cathédrale au fil des siècles et sur son impact sur l’expérience humaine.

Nous avons également étudié le contexte historique de Notre-Dame, notamment l’émergence de la polyphonie* et de l’école de Notre-Dame, qui ont influencé la musique sacrée de l’époque. Il est intéressant de se demander si l’acoustique particulière de la cathédrale a joué un rôle dans l’évolution de ce genre musical. Nous avons également examiné l’histoire de l’orgue de Notre-Dame, son évolution et son impact acoustique au fil des siècles. En plus de nos recherches scientifiques, nous avons mis un effort important sur le partage et la communication de nos activités au grand public. Ces productions, qui font partie intégrante du projet PHEND, ont été prévues au début du projet, qui était assez novateur pour un projet de recherche sur fonds publics.


Notre-Dame Whispers propose un parcours sonore géolocalisé unique, composé de 12 éléments narratifs. L’histoire est racontée à travers le point de vue d’un personnage : une femme ayant perdu sa mémoire. Au fil de ce parcours, elle cherche à retrouver ses souvenirs en remontant dans le temps. En plus des scènes narratives, il y a aussi des entretiens avec des chercheurs et des galeries iconographiques pour mettre en évidence les fondations scientifiques. Cela élargit la cohérence et la profondeur de l’expérience. Encapsulé dans l’application d’audio-guide Ekko Notre Dame de Paris, développé par Talkartive pour smartphone, il est également un outil informatif en termes de muséographie*, grâce à son audio-3d* qui offre une promenade immersive autour de Notre-Dame. Elle permet d’explorer l’histoire musicale et acoustique de ce monument emblématique de manière interactive et enrichissante.


L’application Ekko Notre Dame de Paris est gratuite et disponible en téléchargement sur Google Play Store et Apple App Store en français, anglais et espagnol.

Quelles ont été les différentes étapes du projet PHEND ?

BK : Nous avons divisé le projet en trois grandes étapes :


1. Étude de l’espace architectural : nous avons rassemblé une documentation profonde sur l’état du bâtiment, en étudiant son architecture et son acoustique afin de mieux comprendre l’évolution du son dans l’édifice. Nous avons également identifié plusieurs moments clés de l’histoire de Notre-Dame, y compris l’église qui existait avant la construction de la cathédrale actuelle.


2. Analyse des fonctionnalités de Notre-Dame : nous avons étudié l’usage humain de la cathédrale au fil du temps, notamment les pratiques liturgiques, les concerts, et l’utilisation de l’orgue. Cela nous a permis de mieux comprendre comment l’acoustique a soutenu ces usages et comment elle a évolué.

3. Création de l’expérience acoustique : l’objectif est de rendre cette expérience accessible à la fois aux chercheurs mais aussi au grand public. Pour cela, nous avons travaillé avec des spécialistes en production de guides pour musées, de fictions sonores, de films d’animation, etc. Nous avons également créé des outils de production audio immersifs pour aider la création interactive de l’acoustique de la cathédrale dans le cadre de ces productions.

Quelles autres productions sont issues des recherches de PHEND ?

BK : La Vierge 2020 est un concert radio immersif sur le web développé avec le Conservatoire national Supérieur de Musique et de Danse de Paris, encore disponible il a été créé pendant la pandémie de COVID-19. Nous avons réalisé une reconstruction virtuelle de concert permettant de changer de position
dans Notre-Dame avec un rendu audio-3d, un projet novateur pour marquer la première année depuis l’incendie avec la rediffusion du concert du 850e anniversaire de Notre Dame « La Vierge », qui fût un événement musical inédit.


À la Recherche de Notre-Dame est une fiction radio qui utilise des résultats de nos recherches. Cette fiction propose une immersion audio-3d dans l’histoire de la cathédrale mettant en scène Victor Hugo face à la page blanche. L’histoire, en quatre épisodes de 15 minutes, développée par Narrative et cofinancée par Audible est disponible gratuitement sur leur plateforme ainsi que sur notre site internet.


L’Archéoconcert / Vaulted Harmonies est un film combinant concert animé et documentaire sur l’histoire musicale de Notre-Dame de Paris à travers les siècles, chaque pièce étant reconstruite dans l’acoustique de son époque. Accompagné d’un travail en graphisme et animation réalisé par DaDa animation pour les onze œuvres musicales, l’avant-première du film a eu lieu pendant la Semaine du Son de l’UNESCO, le 24 janvier 2025 avec une projection suivie d’un panel pour discuter de l’oeuvre. Le film est disponible sur YouTube et d’autres développements sont prévues pour la projection sur dôme à 360° et les casques VR.


Ces projets, notamment dans les domaines de l’archéoacoustique et de la spatialisation sonore, ouvrent de nouvelles perspectives pour comprendre l’impact du son sur les lieux historiques et enrichir notre perception de ces espaces. En repoussant les limites de la recherche acoustique, nous visons à créer des expériences immersives et transformantes pour le public, tout en explorant l’histoire et la culture à travers le son.


Parmi ces projets, on retrouve des initiatives telles que PHEND, Ghost Orchestra, EVAA et bien d’autres encore, qui explorent des thématiques variées allant de l’acoustique patrimoniale à l’accessibilité sonore pour les personnes malvoyantes. Tous ces projets existent grâce à la collaboration d’équipes de
chercheurs et de professionnels passionnés et à des partenariats solides avec des institutions telles que le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP), l’Institut de recherche en Musicologie de Sorbonne Université, la Maison des Sciences de l’Homme de Saint-Étienne Lyon, Narrative,
Talkartive, Dada Animation, SUMMIT et bien d’autres. Ces collaborations permettent de faire avancer la recherche et d’offrir des expériences uniques et enrichissantes à un large public.

En regardant vers l’avenir, dans une dizaine d’années, comment pensez-vous que la recherche en acoustique pourrait influencer d’autres domaines, comme la réalité virtuelle ou l’intelligence artificielle ?

BK : Culturellement, je pense que dans dix ans, la muséographie ne sera plus seulement une question de visuel, mais aussi de sons avec une prise de conscience de l’acoustique des lieux. La simulation sonore pour aider la compréhension sensorielle des événements historiques pourrait devenir un élément clé.
Par exemple, on pourrait imaginer la reproduction précise d’un discours dans un ancien théâtre romain ou grec, qui nécessite la restitution de l’acoustique de l’époque. De même, l’histoire de la musique pourrait être explorée en simulant les différentes sonorités des instruments à travers les époques. La réalité augmentée qui est au début de son expansion technologique, deviendra probablement un allié puissant de la reproduction sonore.

Nous sommes dans une phase d’émergence où l’acoustique prendra de plus en plus d’importance, par exemple pour les réunions à distance. Imaginez une réunion en réalité augmentée, où vous êtes projetés dans un espace virtuel doté d’une acoustique réaliste et partagée avec les autres participants, ce qui rend l’expérience aussi naturelle que si vous étiez physiquement présents.


Cela pourrait également bénéficier aux personnes malvoyantes ou non-voyantes, en utilisant la spatialisation sonore pour améliorer la navigation et la compréhension des espaces. On pourrait, par exemple, concevoir un système semblable à Google Maps, mais pour les personnes déficientes visuelles, avec un guidage sonore précis et non intrusif, afin de faciliter leurs déplacements de manière confortable et sécurisée.
Dans cette perspective, des dispositifs comme notre projet RASPUTIN, qui a visé à améliorer la cognition spatiale des bâtiments pour les malvoyants à travers la réalité virtuelle sonore, prennent tout leur sens. De plus, des technologies telles que des lunettes intelligentes pour non-voyants, étudiées dans notre projet NAVIG et capables de reconnaître des images puis de les traduire en audio, pourraient ouvrir de nouvelles perspectives en matière d’accessibilité.

 

son binaural* : Le son binaural est une technique sonore qui recrée une perception 3D réaliste, soit par enregistrement avec deux microphones placés comme des oreilles humaines, soit par synthèse en reproduisant l’impact acoustique du pavillon externe de l’oreille, de la tête et du torse. Cette dernière utilise des modèles acoustiques pour simuler les différences de son perçues par chaque oreille. Écouté avec des écouteurs, il offre une immersion spatiale, employée en musique, cinéma ou réalité virtuelle.
polyphonie* : La polyphonie est une pratique musicale combinant plusieurs voix indépendantes. Émergée au Moyen Âge, elle s’est développée grâce à l’École de Notre-Dame (XIIe-XIIIe siècles), où des compositeurs comme Léonin et Pérotin ont enrichi le chant grégorien avec des mélodies superposées, posant les bases de la musique occidentale complexe.
Source : Wikipédia

recherche en acoustique pourrait influencer d’autres domaines, comme la réalité virtuelle ou l’intelligence artificielle SUMMIT